John et Greg racontent comment leur amitié a pris racine et s’est développée, grâce à un soutien mutuel, depuis plus de trente ans.
« La communauté est un bon endroit. C’est comme une famille – mais différent. Il y a des gens qui veulent mieux te connaître, parler avec toi, te montrer des choses. On vit ensemble comme des frères et des sœurs, même si on n’est pas de la même famille… Au début, on est un étranger, et quand on commence à se connaître les uns les autres, on n’est plus un étranger. »
C’est par ces mots que, le 4 mai dernier, Greg a introduit la conférence sur la théologie et la déficience intitulée A Deeper Communion: Church with People with Disabilities (Une communion plus profonde : l’Église avec les personnes ayant une déficience). Ayant été sollicité pour donner une conférence sur L’Arche, John raconte : « Je savais que Greg avait beaucoup à dire sur son long cheminement vers la liberté. Qu’il introduise la conférence était significatif pour moi. » Greg était aussi explicite : « Nous devons faire ça ensemble. Chacun tout seul, nous n’aurions rien à dire. »
Cet article a été écrit dans le même esprit que la conférence dont il s’inspire – c’est-à-dire par Greg et John. Les citations propres à chacun sont entourées de guillemets, car – comme la conférence – l’article reflète plusieurs conversations. John ne tente pas d’expliquer les mots de Greg, mais plutôt de nommer ce qu’il entend, pour une meilleure compréhension mutuelle et pour partager ce que nous découvrons ensemble.
Le pouvoir de l’appartenance
Greg connaît bien la vie en communauté : « C’est un lieu où on apprend à faire les choses par soi-même, à accueillir l’autre, à s’entraider, et à se laisser connaître par son nom. » John observe : « Ouf, quelle phrase puissante ! Tu nommes l’importance du soutien quand il s’agit d’apprendre à faire les choses par toi-même et pour les autres, notre besoin les uns des autres, et l’importance d’être connu tel que nous sommes vraiment. » Greg : « Oui, c’est ça. »
Greg connaît bien la question d’appartenance, parce qu’il a bien connu l’exclusion. Dès son jeune âge, il a été placé en institution et y est resté pendant plus de vingt ans. Bien qu’il ne veuille pas en parler publiquement, il dit : « Je ressens encore la douleur. Comme si elle ne m’avait jamais quitté. » Greg est heureux que sa mère « ait entendu Jean Vanier à la radio, et m’ait trouvé une maison à L’Arche en 1980. » Il est aussi heureux que L’Arche existe. « C’était différent de l’institution où je vivais. Je ne pouvais pas être moi-même là-bas. »
Greg se rappelle ses premiers jours dans la communauté : « Quand je suis arrivé, j’étais timide; je ne savais pas quoi dire. J’ai eu du mal au début à faire confiance aux gens. » Il a commencé petit à petit à se sentir chez lui. De personne accueillie, il est devenu celui qui accueille. « J’ai accueilli John à L’Arche en 1985. Je lui ai montré ce que c’était que vivre en communauté. »
John se rappelle : « J’étais complètement dépassé. Je n’avais aucune formation dans l’accompagnement des personnes ayant une déficience intellectuelle. J’avais des mentors en-dehors de mon foyer, mais ce sont les personnes de mon foyer qui m’ont enseigné la vie en communauté, aidé à comprendre ce dont elles avaient besoin, et ce qu’elles souhaitaient vivre. Je m’appliquais à être présent à chaque personne de mon foyer, mais elles étaient là pour moi aussi. Nous étions, profondément, dans le même bateau. »
Greg : « Je travaille chez Value-Mart depuis 30 ans. Je nettoie le magasin parce que je me soucie des gens. »
Après une enfance où « on ne me laissait jamais rien faire par moi-même » et où personne n’avait besoin de son aide, Greg a appris qu’il pouvait aider les autres. Quand John est arrivé dans la communauté, il était convaincu qu’il devait aider et savoir aider, mais ses convictions ont vite été chamboulées. Voilà plus de 30 ans que nous apprenons et grandissons ensemble. « La vie a encore beaucoup à nous apprendre. On n’est jamais trop vieux pour apprendre », dit Greg.
La mutualité à travers les différences
John : « À L’Arche, la mutualité (ou réciprocité) est considérée comme une des valeurs essentielles de la communauté. On n’utilise pas souvent ce terme en Amérique du Nord, ce qui en dit long sur notre culture. Il est plus facile de comprendre la mutualité entre pairs – où chacun donne et reçoit – qu’entre deux personnes de ‘forces inégales’ (enfant/adulte, patron/employé, médecin/patient); encore plus, lorsqu’il s’agit de personnes ayant des compétences et des besoins différents. »
John a beaucoup appris en vivant en foyer : « J’étais tellement plus privilégié que Greg, en tant qu’homme blanc, américain, ayant fréquenté l’université. Je n’avais jamais été en institution. Mais j’ai découvert que Greg et moi partagions beaucoup de choses, des similarités qui parfois m’énervaient. Nous étions tous deux de ‘gentils’ garçons qui manquions de confiance en nous. Nous voulions plaire aux autres et n’arrivions pas à dire ce que nous avions à dire. »
Une amitié mutuelle et confiante se crée à travers mille petites actions, à travers les choses ordinaires de la vie quotidienne. Elle se construit en vivant ensemble et en apprenant à dépendre de l’autre. Greg rappelle souvent à John : « On se soutient l’un et l’autre. Je t’ai aidé quand ta sœur est décédée. Je t’ai soutenu à ma manière. Tu m’as aidé quand ma mère est morte. »
Comment Greg soutient John
Les assistants à L’Arche arrivent avec leur bagage familial, comme John : « En 1985, avec ma famille au New Jersey, nous traversions une grande épreuve. Ma petite sœur Jane était atteinte d’un cancer non opérable. Je savais que j’aurais à me rendre auprès d’elle et de ma mère qui avaient besoin de moi. Les gens de mon foyer étaient très attentifs, surtout Mel. À cette époque, Mel était bruyant et souvent en colère; mais il était aussi chaleureux et drôle, avec une facilité à entrer en relation. Il me disait : ‘Je sais ce que c’est le cancer. Ma mère est morte de cancer.’ Il était compatissant, vivait ma souffrance avec moi. Plusieurs personnes me soutenaient, mais Mel comprenait véritablement ma douleur. »
Au cours de l’été 1986, avec Janet et Karen de notre foyer, nous sommes allés rencontrer la famille de John. Un groupe de Daybreak a aussi passé une semaine de vacances là-bas. Au printemps 1987, John est parti s’occuper de Jane qui était maintenant paralysée et aveugle. Elle est décédée en juillet. La communauté a envoyé Greg et Maggie, une assistante, aux funérailles. John : « J’ai d’abord été déçu. Mel avait été mon soutien le plus important et lui et mon père s’étaient très bien entendus. » Bob, le père de John, était un homme énergique, le genre d’homme qui déstabilisait Greg.
Suite à l’insistance de la mère de John, les ‘visiteurs canadiens’ se sont installés chez eux. La situation n’était pas facile, et Bob Guido était dévasté par la mort de sa fille. À un certain moment, Maggie, attentive aux besoins de la famille, a demandé à Greg de l’aider. « Je ne savais pas quoi faire, alors j’ai apporté le café et je me suis assis avec le père de John. ». Greg a fait la chose qu’il fallait, et sa simple présence a été un élément déclencheur du processus de guérison du père de John.
« Après les funérailles de ma sœur, ma grand-mère a décidé d’entreprendre un long voyage en bus pour aller voir son fils Joe, qui, ayant une déficience intellectuelle sévère, avait été placé en institution quand il était petit. Il vivait dans un foyer d’accueil dans l’état de New York. Je n’avais jamais rencontré mon oncle et j’ai offert à ma grand-mère de l’emmener en voiture. Mon père n’avait vu son frère qu’une seule fois, alors nous étions surpris lorsqu’il a dit ‘je viens avec vous’. »
John : « J’étais aux côtés de Greg au moment de la mort de sa mère. Je l’ai emmené la voir à l’hôpital, et j’étais avec lui à ses funérailles… mais tout ça n’est rien, comparé à ce qu’il a apporté à ma famille. »
Compagnons de route
Qu’on lui demande d’être aux côtés de John et de sa famille, en particulier du père de John, a été un événement important pour Greg. Le fait d’être là l’un pour l’autre dans les moments de deuil, nous a permis de vivre encore plus profondément la mutualité dans notre relation, de devenir de véritables compagnons de route.
Dans la deuxième partie de cet article, nous allons décrire ce qui nourrit l’appartenance, et nous engager sur le chemin de la liberté intérieure, thème que nous avons abordé dans la deuxième partie de notre conférence.
Greg Lannan et John Guido sont membres de L’Arche Toronto, amis et compagnons de route depuis plus de 30 ans. Greg est un artiste visuel qui vit à L’Arche depuis 1980. Il travaille chez Valu-mart depuis plus de 30 ans.